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FABIEN GUÉRIN, directeur-fondateur de Talent Fishers, cabinet de recrutement basé à Shanghai
« Pour des PME qui arrivent, nous conseillons dans un premier temps de recruter un occidental qui connaît bien le terrain. Elles peuvent éventuellement recruter un binôme chinois, plus jeune, qui va apprendre à communiquer avec le siège. Cela laissera le temps à la maison mère de comprendre un peu mieux le marché. Nous voyons régulièrement des entreprises siniser leurs équipes pour finalement renommer…”
Mi-février. Dans le hall vitré d’une des usines de Schneider Electric à Shanghai dans le quartier de Pudong, une demi-douzaine de jeunes Chinois en anorak, assis autour d’une table basse, s’appliquent le stylo à la main à remplir consciencieusement des questionnaires. « Ce sont de futures jeunes recrues », lance un manager. Comme tous les groupes implantés en Chine, Schneider a toujours des angoissses lors du nouvel an, période de traditionnelle transhumance familiale, qui signifie qu’une partie des salariés, on ne sait jamais combien, ne reviendra pas. Et comme les autres, le groupe met le turbo sur les recrutements aussitôt les fêtes passées. Sur les 22 000 employés de l’entreprise française, ce simple turn-over « naturel » signifie autour de 2 000 embauches par an, hors tout développement. Même son de cloche chez Arkema. « Notre plus grand défi, c’est la pénurie de compétences. Tout le monde se développe très vite et a besoin d’un grand nombre de salariés », assure, de son côté, Willie Ye, directeur des ressources humaines pour Arkema, qui a embauché 200 personnes l’an dernier et en recrutera au moins autant en 2011. Et quand il s’agit de cadres et non plus d’ouvriers, la chasse à la perle rare est aussi problématique pour les multinationales et les PME. Le défi est de trouver la compétence technique alliée à un parcours ouvert à l’international. « La Chine est un marché de candidats. En France, vous avez 40 CV sur votre table et vous faites une sélection. Ici, le candidat sélectionne son employeur. C’est à vous de le convaincre », décrypte Fabien Guérin, directeur-fondateur de Talent Fishers, cabinet de recrutement basé à Shanghai.
Dans l’industrie, les entreprises cherchent des profils un peu expérimentés. « Nous n’avons pas le temps de former de jeunes profils », déplore Willie Ye. Dans les secteurs pointus, les leaders se disputent les meilleurs. Cela suppose d’en payer le prix. L’écart des salaires entre l’Europe et la Chine se resserre. Un ingénieur avec huit ans d’expérience peut coûter entre 1 250 et 2 000 euros par mois et réclamera entre 8 et 15 % d’augmentation par an. « Il faut parfois expliquer, voire s’excuser, quand on ne donne que 6 % », s’étonne le responsable d’une équipe d’ingénieurs dans un groupe français.
Certains recruteurs s’intéressent aux étudiants, mais la démarche demande de la patience et est risquée. « Nous passons entre six mois et un an à former des jeunes et quand ils le sont, certains partent », reconnaît un responsable qualité d’une entreprise suisse. Le premier obstacle se trouve sur les bancs des universités où les formations ne sont pas adaptées au monde du travail, comme en témoigne ce paradoxe : un quart des jeunes diplômés n’arrive pas à trouver d’emploi – soit plus d’un million d’étudiants, alors même que les entreprises peinent à pourvoir leurs postes.La problématique existe depuis de nombreuses années, au point qu’en France l’enseignement supérieur y a été sensibilisé. Plusieurs programmes d’échange ont été développés par des écoles d’ingénieurs et certaines ont même installé un campus en Chine, à l’instar de l’École centrale, hébergée par l’université d’aéronautique de Pékin (Beihang) ou de ParisTech – dont Polytechnique, les Ponts ou les Mines – partenaire d’un programme de formation d’ingénieurs au sein de la prestigieuse université de Tongji qui fera sa première rentrée en 2012. L’apprentissage des langues étrangères est alors intégré au cursus technique et vise à former des cadres biculturels. L’UTC et l’UTBM mènent aussi des programmes franco-chinois.
Proposer des perspectives de carrière
Mais l’attrait pour les sociétés internationales se fane. Face à l’internationalistion des entreprises chinoises, Manpower remarque, dans une étude publiée en novembre, qu’un nombre croissant de cadres moyens à supérieurs réservent désormais leur préférence à des entreprises locales et non plus aux multinationales traditionnellement plus prestigieuses. « L’avenir, ce sont les entreprises privées chinoises. Il y a beaucoup de choses à faire avec elles. Je suis en discussion avec deux d’entre elles pour un poste », se réjouit M. Li, qui parle parfaitement le français et l’anglais et travaille pour un grand nom du CAC 40, très connu en Chine. Du coup, les entreprises multiplient les formations, localement ou à leur siège en Europe. « Nous avons mis au point un programme pour les hauts potentiels au niveau Chine, mais aussi au niveau monde », précise Willie Ye. Air liquide a aussi un programme de ce type (Yang Fan), destiné aux jeunes qui prévoient un parcours international. Un moyen de fidéliser des hauts profils, sur un marché où les tentations jalonnent les zones industrielles. « Débaucher à la concurrence n’est pas un mode de fonctionnement durable sur le long terme. Désormais, il faut être en mesure de proposer des perspectives de carrière », tranche un industriel allemand.
Jouer la carte de la carrière et humaniser le travail font peut-être partie des atouts à mettre dans son jeu. « Il y a une notion de confort à prendre en compte, comme le temps de trajet pour se rendre au travail », estime Fabien Guérin. Dans un pays grand comme dix-sept fois la France, la mobilité a ses limites. « Un de nos clients a voulu s’installer dans le Shandong [province à mi-chemin entre Shanghai et Pékin] pour être proche de ses fournisseurs. Il a fini par s’implanter à Shanghai. Personne ne voulait y aller ! », s’exclame le recruteur. Même à deux heures de route d’un vivier de talents comme Shanghai, le problème se pose. « Trouver des personnes pour notre site de Changshu a été un vrai casse-tête », confie Willie Ye. De quoi faire réfléchir les industriels avant de choisir leur implantation.
LES SALAIRES FLAMBENTLes rémunérations progressent d’au moins 10 % par an et davantage pour les plus modestes. Le salaire minimum à Shanghai a été relevé de 20 % l’an dernier. Une évolution semblable est attendue cette année. À Pékin, il a bondi de deux fois 20 % en un an. Voilà quelques exemples rencontrés dans des entreprises françaises : Salaire minimum : 1 120 yuans à Shanghai (10 yuans = 1,1 euro(de 30 à 50 % de moins dans les provinces intérieures) Ouvrier senior très qualifié : jusqu’à 5 000 yuans Ingénieur avec première expérience : de 6 000 à 8 000 yuans Directeur de production : 25 000 yuans Directeur commercial (PME BtoB) : 50 000 yuans
Julie Desné, L’Usine Nouvelle
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